Critique

Faims

Le festin au crépuscule

Marie-Claire Blais

Boréal, 287 pages

4 étoiles

Arriver dans Soifs, le cycle romanesque de Marie-Claire Blais, à la veille du dernier acte, relève de la grande gymnastique, sinon d’un exercice carrément casse-gueule.

Mais bien que plusieurs clefs, parsemées au cours des sept premiers titres, nous échappent, la lecture s’avère tout de même prenante, voire captivante.

L’esprit de l’auteure reste le même, faut-il dire. L’humanisme de Marie-Claire Blais est là, vibrant, comme aux premiers temps, celui d’Emmanuel ou du Sourd dans la ville.

Le souffle a changé, le style aussi. L’absence de points, à l’envers de la vie réelle, nous invite à prendre le temps.

Et s’il est impossible de ralentir, on peut alors lire et relire et goûter, avec un plaisir renouvelé, la virtuosité d’un fort courant qui nous mène de l’un à l’autre de personnages persévérants ou blessés, mais attachants.

Arriver à la fin du cycle de Soifs, c’est prendre le train en marche ou plutôt laisser le train nous prendre, nous dire d’ouvrir le cœur et de nous laisser aller à une « parole si concrète ».

Un romancier, Daniel, se rend à une rencontre d’écrivains en Écosse. Il rêve, imagine, désespère parfois. Il espère, aussi, en pensant souvent à ses enfants adorés, éparpillés dans un monde cruel, voire dangereux.

On peut le voir aussi comme le porteur de la parole de la romancière qui s’inquiète pour les arts, les artistes et les philosophes. Qui en défend le bien-fondé, la pertinence devant les « armes de la régénération de la guerre » ou les parents « qui vendent leur enfant pour un sachet de cocaïne ».

Le festin au crépuscule célèbre beaucoup le refus de la violence, de la criminalité, de la corruption, du nucléaire, de l’indifférence. C’est une invitation à une fête humaine qui croit aux enfants, aux jeunes, à leurs luttes et à leurs espoirs dans la quiétude du soir qui tombe.

Toutes les soifs d’humanité, Marie-Claire Blais les incarne. Tous les souffles de vie, la romancière les expose comme s’ils étaient déjà en elle. Sa compréhension des choses de l’existence est telle que l’on ne peut qu’adopter son souffle et sa faim du bien, ses faims d’un monde sans fin.

Est-on dans le rêve ou la réalité ? se demande-t-on souvent à la lumière d’un crépuscule pouvant annoncer aussi bien la nuit qu’appeler le jour qui suit.

La question n’a jamais aussi peu compté, tant la vérité habite tout ce qui est dit, pensé ou imaginé dans ce roman qui laisse entrevoir, comme les désirs de bonheur simple d’Angel au bout de 287 pages, une grande finale humaniste à Soifs.

EXTRAIT

Le festin au crépuscule, de Marie-Claire Blais

« […] la Mort noire, cela existe, oui, et il ne faut cesser d’en être le dénonciateur, car qui sommes-nous, mes amis, sinon les chantres de la révolte et de la dénonciation, qui sommes-nous, si mon fils Augustino était parmi nous, ne dirait-il pas aussi que nous sommes les chantres de la fureur trop longtemps contenue, tue, par une société hypocrite usant ses poètes jusqu’à l’inertie, l’impotence, les respectant si peu qu’ils finissent par en mourir, n’y a-t-il pas dans ces forêts où nous allons en pèlerins, m’a dit Eddy ce matin, une chapelle désaffectée dans un château en ruines, une chapelle que l’on a consacrée aux poètes suicidés afin que se rassemblent en paix leurs âmes aux désirs inassouvis et que nous leur rendions hommage dans des hymnes perpétuels […] »

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